Les techniques de nivellement ont existé dès la plus haute antiquité mais les premiers traités de nivellement en langue française datent seulement du dix-septième siècle. La théorie du nivellement est fondée sur la notion de surface de niveau. Les surfaces de niveau sont des surfaces normales en chacun de leurs points à la direction du fil à plomb et sur lesquelles, par suite, un déplacement quelconque s’effectue sans travail de la pesanteur. Par chaque point du globe, il passe une surface de niveau et une seule. On appelle alors différence de niveau de deux points, ou dénivelée, la distance de l’un de ces points à la surface de niveau qui passe par le second. L’idée la plus claire des surfaces de niveau nous est donnée par l’état de repos d’un liquide libre à sa partie supérieure. Un étang, un lac, quand ils sont parfaitement tranquilles, nous offrent de véritables surfaces de niveau…
La mer est considérée, dès le dix-septième siècle, comme la surface de niveau pouvant servir de référence aux opérations de nivellement, mais pour des raisons pratiques, elle est encore très peu utilisée. Quand les travaux sont éloignés du littoral, il est alors d’usage de fixer un plan de comparaison local. Par exemple, l’abbé Jean Picard, chargé par Louis XIV d’étudier les possibilités de réalisation d’un aqueduc permettant d’amener l’eau de la Loire au château de Versailles, choisit d’exprimer les cotes issues de ses nivellements par rapport au rez-de-chaussée de la demeure royale.
Les discordances générées par la multiplication de tels nivellements locaux ou régionaux, rapportés à des surfaces de comparaison différentes, sont source de constantes confusions. Avec la généralisation des chantiers de grande envergure (routes, canaux, puis plus tard voies ferrées), des besoins d’unification commencent à se faire sentir.
Dans le même temps, il apparaît utile d’établir des témoins matériels des opérations de nivellement géométriques, sur lesquels pourront se rattacher toutes les opérations ultérieures. Ces points sont baptisés repères de nivellement. En France, les repères appartenant aux nivellements les plus anciens sont des plaques en fonte surmontées d’une tablette horizontale. Chaque nivellement possède son type de plaque, dont les aspects ornementaux sont plus ou moins développés.
De 1857 à nos jours, trois réseaux de grande ampleur se sont succédés sur le sol de la métropole :
Paul Adrien Bourdalouë
Le premier réseau de nivellement de précision d’ampleur nationale n’aurait sans doute pas vu le jour aussi rapidement sans la renommée acquise par Paul-Adrien Bourdalouë (1798-1868) au pied des pyramides. Tout commence le 19 mai 1798, lorsqu’une expédition militaire commandée par Bonaparte part du port militaire de Toulon en direction de l’Egypte. Cent soixante-sept savants participent au voyage, dont quinze géographes. Afin d’étudier la possibilité de percement d’un canal à travers l’isthme de Suez pour faciliter le commerce, Bonaparte fait exécuter un nivellement entre la mer Rouge et la mer Méditerranée. Le canal actuel aurait pu sortir directement de cette pensée avant-gardiste ; malheureusement, les vues supérieures de l’empereur seront contrecarrées par les évènements.
On conclut alors que la mer Rouge est plus élevée que la Méditerranée et que la différence de niveau atteint presque 10 mètres. Ce résultat fâcheux retarde le percement du canal car on doit envisager la construction de coûteuses écluses et un ralentissement substantiel du futur trafic.D’emblée, certains savants émettent cependant quelques réserves quant à la justesse du résultat obtenu, en faisant valoir notamment que les nivellements ont été accompagnés de difficultés de toutes sortes.
En 1847, une mission est envoyée sur place pour réitérer les opérations effectuées en 1799. On confie la responsabilité de la brigade topographique à un conducteur des Ponts et Chaussées né à Bourges : Paul Adrien Bourdalouë. Grâce à des méthodes et du matériel novateurs, parmi lesquels on peut citer l’égalité des portées ou la mire parlante (info-bulle : Avant Bourdalouë, les mires étaient équipées d’un voyant coulissant, que le porte-mire déplaçait sur les indications du lecteur, jusqu’à matérialiser une ligne de visée horizontale. La lecture de la cote sur la mire était confiée au porte-mire, lequel devait la crier à l’opérateur. Cette cote était quelquefois mal lue, mal énoncée ou mal entendue ; de là de nombreuses erreurs qui obligeaient trop souvent à répéter l’opération. La mire parlante, mise au point en 1830, est divisée en compartiments rouges et blancs qui permettent à l’opérateur de faire lui-même la lecture, sans le secours du porte-mire qui n’a d’autre effort à accomplir que de tenir sa règle bien verticale), Bourdalouë trouve une différence minime de 80 centimètres entre les niveaux des deux mers, la mer Rouge étant un peu plus élevée que la mer Méditerranée.
Quelques années plus tard, la Compagnie Universelle du Canal de Suez est créée et Ferdinand de Lesseps peut lancer les travaux de percement. Quant à Bourdalouë, sa célébrité est en partie assurée! Trois ans après son retour d’Egypte, le berruyer entreprend à ses frais le nivellement du département du Cher, qu’il conçoit pour servir de modèle à un nivellement de l’ensemble du territoire national.
Un groupe de pression très puissant, constitué de personnalités politiques de premier plan, répondant à de gros intérêts commerciaux et bénéficiant d’une caution scientifique sans faille obtient alors la signature de la circulaire du 15 juillet 1857 qui décide de l’établissement d’un réseau de nivellement de base, dont l’observation est confiée à Bourdalouë, sur des crédits publics, avec participation des compagnies de chemin de fer.
Les opérations du nivellement général de la France débutent le 29 septembre 1857. Bourdalouë met en application les nombreux perfectionnements dans les méthodes et les instruments de nivellement qu’il a imaginés : raccourcissement des visées à une centaine de mètres pour obtenir des résultats beaucoup plus précis, remplacement des mires coulissantes, trop longues à manœuvrer, par des mires parlantes, invention des fiches d’acier implantées dans le sol pour stabiliser les supports de mire…
L’origine du réseau Bourdalouë, appelée zéro Bourdalouë, est fixée par décision ministérielle du 13 janvier 1860 comme étant le trait 0,40 m de l’échelle de marée du Fort St-Jean à Marseille. Les documents anciens semblent montrer que le calcul des altitudes de ce réseau ne faisait pas intervenir de mesures de gravimétrie.
Charles Lallemand
Dès 1878, le Ministère des Travaux Publics décide de poursuivre l’œuvre de Bourdalouë. La Commission du Nivellement général de la France institue un Comité chargé de son exécution en 1884. Cette petite organisation, dont le secrétariat est confié à Charles Lallemand (1857-1938), est l’embryon du futur Service du Nivellement Général de la France, communément désigné par les trois lettres NGF, créé en 1891 et dont le premier Directeur reste Charles Lallemand.
L’origine du nouveau réseau est déterminée à l’issue d’observations réalisées au marégraphe de Marseille du 1er février 1885 au 1er janvier 1897. Le zéro Lallemand se trouve à 71 mm au-dessous du zéro Bourdalouë. Les altitudes orthométriques de ce réseau prennent en compte des valeurs de pesanteur théorique.
Les deux réseaux, calculés différemment, ne sont pas sujets aux mêmes erreurs. Les altitudes de Bourdalouë sont presque partout supérieures à celles de Lallemand et leurs écarts ne sont donc pas constants sur l’ensemble du territoire.
Carte du NGF
L’IGN décide la remise en état du réseau de base (réseau de 1er ordre) de 1962 à 1969, en conservant l’origine du réseau Lallemand. Les nouvelles altitudes étant de type normal, elles prennent en compte un modèle utilisant des mesures de pesanteur réelle. Ce réseau est appelé IGN1969 pour la France continentale et IGN1978 pour la Corse (dont l'origine est le niveau moyen de la mer à Ajaccio).
Apres avoir achevé la remise en état du réseau primordial, l’IGN entreprend celle des réseaux de 2ème, 3ème et 4ème ordres, dont les altitudes sont également de type normal. Les différences entre le réseau Lallemand et IGN1969, qui progressent vers le Nord (les altitudes IGN69 sont supérieures à celles de Lallemand, de 60 cm à Dunkerque et d’environ 33 cm à Paris), sont surtout liées aux reprises d’observations et aux moyens de calcul plus modernes, mais très peu au nouveau type d’altitude.
Mis à jour le 09/07/2012